Dans quelle mesure la dette privée profite-t-elle des investissements d’envergure dans le contexte post-Covid-19 ?
Vision de marché
Dans quelle mesure la dette privée profite-t-elle des investissements d’envergure dans le contexte post-Covid-19 ?
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08 Décembre 2020
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Private Credit
Temps de lecture : 8 minutes
Avant que la propagation de la Covid-19 ne verrouille les économies et ne perturbe les marchés de capitaux, la dette privée avait le vent en poupe.
Au cours de la dernière décennie, le nombre de gestionnaires en charge de programmes de dette privée et d’actifs gérés dans ce domaine a régulièrement augmenté, sous l’effet du désengagement des banques suite à la crise financière mondiale de 2008, de l’appétit des investisseurs pour des stratégies de long-terme susceptibles de générer des rendements dans un contexte de taux d’intérêt bas, et enfin, de conditions macro-économiques favorables. Selon des données de PitchBook, les levées de fonds de la dette privée ont augmenté de 17,3 % pour atteindre 125,9 milliards de dollars en glissement annuel à fin 2019, et les niveaux de dry powder ont gonflé à hauteur de 250 milliards de dollars.
L’accroissement des nouveaux entrants et le développement des trésors de guerre en capitaux ont avivé la concurrence quant aux transactions et amélioré les prix et conditions pour les emprunteurs. La dette devenant une marchandise, il était plus difficile pour les investisseurs de différencier les gestionnaires les uns des autres.
La performance des investissements dépend de la capacité d’un gestionnaire à rester sélectif. Nous réalisons entre 10 et 12 financements de dette privée par an sur les 400 à 500 qui nous parviennent.
Un contexte qui devrait se prolonger
Le confinement et les perturbations sur le marché ont, cependant, mis un terme à cette situation. Les marchés ont fait volte-face, la priorité étant donnée à la gestion des portefeuilles plutôt qu’à l’accélération de leur déploiement.
Les levées de fonds ont fléchi et les investisseurs sont devenus plus sélectifs. Selon PitchBook, seuls 53 fonds de dette privée ont clôturé sur le premier semestre 2020, levant 47,8 milliards de dollars, le marché enregistrerait ainsi sans doute son résultat annuel le plus faible de ces cinq dernières années.
Dans ce contexte, l’attention portée à la qualité du crédit s’est intensifiée, à l’instar de l’importance des investissements sur le long terme par les acteurs de la dette privée pour leurs équipes et territoires. Pendant toute la période de confinement, l’envergure et l’infrastructure se sont révélées cruciales dans la gestion des portefeuilles, tout en maintenant l’activité des nouvelles transactions en dépit du contexte difficile.
« Les investisseurs sont désormais confrontés à des inconnues. Comment réagira la dette privée face à un ralentissement du cycle ? Le contexte a été favorable jusqu’à cette année. À présent, les investisseurs vont enfin disposer d’un point de données pour juger la dette privée sur tout un cycle, et ainsi faire la distinction entre les différents gestionnaires », affirme Mark Brenke, Responsable d’Ardian Private Debt.
Une présence locale dans les principaux territoires, combinée à des investissements dans le sourcing sont deux des critères qui se sont imposés face aux bouleversements occasionnés par la Covid-19 ; ils ont permis de distinguer les gestionnaires ayant ces capacités, des autres n’en disposant pas.
Avant la propagation de la pandémie, les gestionnaires de dette privée faisaient partie des bénéficiaires du marché porteur des fusions-acquisitions, qui assurait aux prêteurs un flux régulier d’opportunités et des niveaux soutenus d’activité. Selon les données recensées par le cabinet d’avocats White & Case, le volume des fusions-acquisitions en Europe occidentale s’est accru de plus de 80 % entre 2009 et 2019, pour passer de 413,95 milliards de dollars à 748,72 milliards de dollars, créant ainsi un contexte favorable pour le nombre grandissant de gestionnaires de dette privée dans cette catégorie d’actifs.
Alors que le flux des transactions a chuté tout au long de la pandémie (les fusions-acquisitions européennes ont perdu 27 % au premier semestre 2020, par rapport à la période précédente, pour atteindre 281,88 milliards de dollars), la présence locale et les ressources de sourcing ont été des leviers majeurs pour soutenir l’activité malgré les circonstances.
Selon Mark Brenke, le réseau de bureaux et d’équipes locales d’Ardian sur les principaux marchés européens (Royaume-Uni, France, DACH et Bénélux) a été essentiel pour maintenir les opportunités d’opérations de la société.
De nombreuses entreprises européennes du mid-market ciblées par les fonds de dette privée ont, historiquement, eu recours au financement bancaire et se sont tournées vers leurs prêteurs habituels pour faire face aux bouleversements causés par la pandémie. Même en période de stabilité, il n’est pas simple de se tourner vers les capitaux de la dette privée. Les relations et partenaires locaux se sont avérés précieux pour accompagner cette transition.
« Il n’est pas impossible de faire ces opérations sans partenaires locaux ; c’est juste beaucoup plus difficile. L’Europe est vaste et difficile à couvrir depuis un seul et même bureau. Par ailleurs, le modèle de rotation fly-in/fly-out a été mis à rude épreuve pendant tout le confinement », précise Mark Brenke.
Sans doute plus crucial encore, le fait que sur une période de réduction des activités de fusions-acquisitions, investir dans le sourcing a permis à des gestionnaires de rester sélectifs quant aux crédits qu’ils financent.
« La performance des investissements dépend de la capacité d’un gestionnaire à rester sélectif. Nous réalisons entre 10 et 12 financements de dette privée par an sur les 400 à 500 qui nous parviennent », affirme Mark Brenke. « Plus les transactions sont nombreuses, plus on peut être sélectif. La priorité est d’accroître le flux d’opérations, ce qui nécessite d’investir dans un sourcing proactif plutôt que d’attendre les appels de conseillers, ce qui diminue votre visibilité sur le nombre d’opportunités.
Tout au long du cycle de crédit, la valeur d’un sourcing proactif est encore amplifiée par le modèle classique des frais de dette privée, ces derniers étant payés sur le capital déployé et non engagé.
Sur un marché stable, lorsque les volumes d’activités de transaction sont élevés, c’est gérable. Mais lorsque l’activité se stabilise, les gestionnaires qui ne disposent pas de gros portefeuilles rentables sont soumis à une pression beaucoup plus forte. Cela peut conduire à se tourner vers des opérations plus marginales et à avoir une marge de manœuvre moindre en termes de sélectivité, avec des répercussions sur la performance globale du fonds.
« Un gestionnaire devant déployer des capitaux pour se maintenir à flot est plus enclin à être moins sélectif et à acheter tous les titres. Cela ne pose pas de problème lorsque le marché est à la hausse ; lorsqu’il est à la baisse, les ratios risque/rendement et la qualité du crédit sont privilégiés et déterminent quels gestionnaires continueront à s’en sortir », déclare Mark Brenke.
Les grands gestionnaires deviendront encore plus importants et les petits auront plus de difficultés à obtenir des fonds complémentaires.
Priorité au portefeuille
La pression subie par les gestionnaires pour poursuivre le déploiement de capitaux et obtenir des honoraires peut être davantage accentuée lors de périodes telles que celle de la pandémie, qui pèsent également sur les portefeuilles.
L’Union européenne (UE) table sur une contraction de 8,3 % du PIB européen pour cette année, et l’agence de notation Fitch prévoit entre 4 et 5 % d’augmentation des taux de défaut européens pour les obligations à rendement élevé et les prêts à effet de levier sur 2020, avant de s’accentuer en 2021. Atradius, spécialiste de l’assurance-crédit, signale quant à lui, qu’en Europe les faillites sont en hausse pour la première fois en dix ans.
Tout au long de cette période, les portefeuilles ont eu besoin de soutien, mais les ressources utilisées dans les restructurations de crédit et la gestion des portefeuilles ont réduit les possibilités de se pencher sur de nouvelles transactions.
Pour Mark Brenke, « tout dépend de la santé de votre portefeuille, mais lorsque le marché traverse une période de bouleversements, comme celle que nous avons vécue cette année, il devient beaucoup plus difficile de maintenir l’activité transactionnelle si les ressources sont consacrées à la gestion du portefeuille ».
La capacité à gérer des portefeuilles et à poursuivre le déploiement de capitaux en plein creux d’un cycle, est plus facile à assimiler pour de grandes sociétés ; et Mark Brenke voit une possibilité de consolidation sur un marché qui a connu un accroissement soutenu du nombre de nouveaux entrants ces dix dernières années.
« Les grands gestionnaires deviendront encore plus importants et les petits auront plus de difficultés à obtenir des fonds complémentaires » ajoute Mark Brenke.
jusqu’à présent, la dette privée s’est montrée résiliente et il y a de fortes chances que l’appétit des institutions s’accroisse.