Fatoumata Kébé, astrophysicienne militante
Histoire de croissance
Fatoumata Kébé, astrophysicienne militante
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17 Octobre 2023
Temps de lecture : 7 minutes
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1993,
à l’âge de huit ans, lors de la consultation d’une encyclopédie en plusieurs tomes, Fatoumata s’arrête sur les volumes consacrés à l’astronomie et à l’astrophysique.
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6 Décembre 2016
elle soutient sa thèse intitulée « Étude de l’influence des incréments de vitesse impulsionnels sur les trajectoires de débris spatiaux ».
Elle est de tous les combats. Ou plutôt, de toutes les conquêtes. Terrestres d’abord, mais pas seulement.
Solidement ancrée dans la réalité – celle d’une planète sur laquelle règnent les inégalités, entre les peuples, entre les sexes – Fatoumata Kébé vit avant tout, et depuis toute petite, la tête dans les étoiles.
Tout commence en 1993 quand, à l’âge de huit ans, lors de la consultation d’une encyclopédie en plusieurs tomes, Fatoumata s’arrête sur les volumes consacrés à l’astronomie et à l’astrophysique. « Un jour, j’aurais un métier en lien avec les planètes et les étoiles », se promet-elle. Elle commence alors à lever plus fréquemment la tête vers le ciel de la banlieue parisienne, en Seine-Saint-Denis, où elle grandit. Une région où la pollution lumineuse et les particules laissent rarement dévoiler la beauté du ciel, pour ne révéler quotidiennement que quelques étoiles, et cet astre qui brille plus fort que les autres : la Lune. Celle qu’elle appellera alors « son ciel étoilé ».
Mais le chemin qui la mène jusqu’à la pratique de l’astrophysique est encore long. Après une licence en ingénierie mécanique, la jeune femme entre en master spécialisé en mécanique des fluides, dont la dernière année la conduit au Japon, et plus précisément à l’université de Tokyo, où elle étudie l’ingénierie spatiale et l’astronomie au sein d’un laboratoire qui fabrique de petits satellites. « Un choc culturel, se souvient Fatoumata Kébé. Ce séjour a bouleversé tous mes repères : architecturaux, linguistiques, gastronomiques ! » Une année qu’elle passe à « pratiquer », et un premier contact avec l’astronomie qui l’amène jusqu’au doctorat, à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), au sein de l’Observatoire de Paris. Elle soutient sa thèse intitulée « Étude de l’influence des incréments de vitesse impulsionnels sur les trajectoires de débris spatiaux » le 6 décembre 2016. Un « sujet passionnant » qui regroupe deux thèmes chers à l’astrophysicienne, l’environnement et l’espace.
Fatoumata Kébé se spécialise alors dans la recherche sur ces débris spatiaux qui polluent la région dite « basse » autour de la Terre.
Ce qui est intéressant, c’est que l’on utilise les outils de l’astronomie – qui servent d’habitude à la recherche fondamentale – pour obtenir des résultats concrets.
Un thème qui interroge les pratiques spatiales actuelles, avec un nombre croissant d’acteurs, et toujours plus de satellites envoyés dans l’espace. Et qui met surtout en lumière le risque grandissant de collisions de ces débris avec des satellites fonctionnels, ainsi que le risque de retombées sur terre, de plus en plus nombreuses.
Gommer les inégalités
Gommer les inégalités
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En 2014,
Fatoumata est lauréate du prix des jeunes innovateurs de l’Union internationale des télécommunications
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En 2018,
son engagement lui a valu d’être citée par Vanity Fair parmi les Françaises les plus influentes du monde
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En 2021,
elle est nommée Chevalier de l’ordre national du Mérite
Longtemps tournée vers le ciel, Fatoumata Kébé n’en oublie pas pour autant les réalités terrestres, et parmi elles, les inégalités.
Les inégalités d’accès à la science tout d’abord, à l’échelle du globe. La jeune femme est membre active de l’Union astronomique internationale (UAI), une association non gouvernementale regroupant des astronomes professionnels titulaires d’un doctorat. C'est au sein de la division dédiée à l'éducation, à la médiation et au patrimoine que Fatoumata contribue à l’organisation de conférences en ligne à destination de publics professionnels en manque de ressources dans cette discipline. Sont concernés les pays où l'astronomie n'est pas encore ancrée ou très peu (continent africain, l’Amérique du Sud, l'Asie ainsi que certains pays européens).
Née de parents d’origine malienne, Fatoumata s’engage personnellement sur des sujets scientifiques liés au continent africain.
J’ai lancé il y a peu mon entreprise de consulting. J’accompagne de jeunes agences spatiales africaines dans leur développement et la structuration de leurs activités, ainsi que sur les sujets de formation des jeunes à ces métiers.
Un engagement qui fait écho au projet Connected Eco, porté par Fatoumata au Mali, lauréat en 2014 du prix des jeunes innovateurs de l’Union internationale des télécommunications, et qui a pour vocation d’aider le secteur agricole à optimiser la surveillance des ressources en eau et l’irrigation.
Toutefois, les inégalités d’accès à la science ne se jouent pas uniquement à l’échelle des continents. L’accès à l’astronomie est loin d’être une réalité pour tous les enfants des pays développés, et notamment en France. « Quand j’étais enfant, je n’ai pas eu accès à l’astronomie, à cause de l’endroit où je vivais. J’ai donc souhaité, en créant l’association Éphémérides, mettre à disposition de tous ces jeunes la possibilité d’avoir des activités liées à l’espace. C’est aussi le moyen de démonter toutes ces fake news qui circulent sur la Toile. Et enfin, c’est œuvrer contre ce sentiment d’exclusion que ressent le grand public qui perçoit l’astronomie comme un domaine inaccessible. Alors que nous sommes tous concernés. Ne sommes-nous pas tous issus de poussières d’étoiles ? » milite Fatoumata. Et de reprendre : « Nous intervenons aussi dans les écoles, pour essayer de briser ce plafond de verre qui exclut très tôt les petites filles des activités scientifiques que l’on réserve plutôt aux garçons. Et quand les filles exercent un métier scientifique, ils vont avoir un lien avec la notion de prendre soin de l'autre (ex: chimie, biologie)».
Un engagement qui lui a valu d’être citée en 2018 par Vanity Fair parmi les Françaises les plus influentes du monde. Et nommée en 2021 Chevalier de l’ordre national du Mérite.
Une scientifique passeuse d’histoire(s)
Une scientifique passeuse d’histoire(s)
Chercheuse et conteuse, scientifique et poète, Fatoumata manie les mots comme elle joue avec les chiffres, pour rendre toujours plus concrets les objets célestes qui nourrissent l’imaginaire de l’homme depuis ses premiers jours.
Résidente de la Villa Albertine, communauté au service des arts et des idées reliant la France et les États-Unis, et dont Ardian est partenaire, Fatoumata Kebe y a exploré plusieurs sujets en lien avec les missions spatiales Apollo, entre 1969 et 1972. Tout d’abord celui des 380 kilos de roches lunaires rapportés sur Terre par les différents équipages, et conservés encore pour partie à l’attention des futures générations de scientifiques qui pourront les étudier avec des outils technologiques toujours plus puissants. Le sujet de la place des femmes ensuite, les femmes d’astronautes mais aussi celles qui ont participé, dans l’ombre, à l’élaboration de ces missions. Et enfin, les villes de Houston, épicentre du programme spatial américain, et de Marfa, où l’absence de pollution lumineuse rend visible plus d’un millier d’étoiles, toutes deux situées au Texas. Un projet entre art et sciences, qui prendra bientôt la forme d’un podcast venant s’ajouter aux deux ouvrages déjà publiés par la jeune femme, La Lune est un roman et Lettres à la Lune.
Mais déjà, Fatoumata se tourne vers le projet suivant, celui qui la rapprochera, elle l’espère, encore un peu plus près de cet astre qu’elle chérit tant.
Mon maître-mot est la persévérance. Chaque petite victoire me rapproche de ce que je souhaite le plus : marcher sur la Lune.
Fatoumata Kébé interviendra lors d’une conférence réservée aux salariés d’Ardian à Paris le 17 novembre prochain, organisée par le Ardian Women’s Club.