Portrait d’excellence – Claire Gibault, cheffe d’orchestre
Finance Responsable
Portrait d’excellence – Claire Gibault, cheffe d’orchestre
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18 Octobre 2022
Temps de lecture : 5 minutes
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À 13 ans
Claire commença à diriger l’orchestre d’élèves où elle était violon solo
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À 23 ans
Claire sort du Conservatoire supérieur national de Paris avec un premier prix de direction d’orchestre
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27 ans de travail
à l’Opéra de Lyon, auprès de Claudio Abbado – dont elle devient l’assistante sur plusieurs productions musicales et avec qui elle crée l’Orchestra Mozart di Bologna
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2011
Claire décide de fonder le Paris Mozart Orchestra en 2011
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Septembre 2020
première édition du concours de direction d’orchestre réservé aux femmes
Genèse d’un talent
A 23 ans, cette sarthoise originaire du Mans sort du Conservatoire supérieur national de Paris avec un premier prix de direction d’orchestre et fait la « une » des journaux. C’est le début d’une carrière hors norme, menée avec passion, conviction, ténacité, mais aussi une bonne dose d’audace, comme aime à le dire cette pionnière au tempérament de leader.
La musique, plus qu’une vocation
De l’audace, il en aura fallu pour, à 13 ans, commencer à diriger l’orchestre d’élèves où elle était violon solo, et pour demander au directeur du Conservatoire du Mans d’être formée à un métier qui demeurait un bastion masculin. Mais à l’époque, cette jeune fille nerveuse et passionnée voyait déjà son destin en grand :
J’ai vite senti que je n’étais pas faite pour une carrière de concertiste. Mon désir autour de la musique était beaucoup plus large
Et puis Claire était soutenue par son père. Un père professeur de solfège et trompettiste, qui a toujours pris ses qualités musicales très au sérieux et lui a insufflé une confiance en elle déterminante. C’est cette confiance, associée à une passion précoce et dévorante pour la musique, et notamment pour le répertoire symphonique – Mozart, Haydn, Schumann… – qui poussent Claire Gibault à suivre sa vocation, contre vents et marées. A l’Opéra de Lyon, où elle travaille pendant 27 ans, auprès de Claudio Abbado – dont elle devient l’assistante sur plusieurs productions musicales et avec qui elle crée l’Orchestra Mozart di Bologna – et à Milan, où elle devient la première femme à diriger à la Scala, Claire Gibault se livre sans répit au « martyre » de la musique :
La musique exige un vrai don de sa personne. Pour donner le meilleur de soi-même, il faut travailler, tout le temps. Je me suis assez peu reposée durant ma carrière.
Succès international
En effet, Claire Gibault semble infatigable : on la retrouve à la tête de l’Orchestre philharmonique de Berlin, à la Fondazione Musica per Roma où elle est directrice musicale, à la direction de l’Orchestre Philharmonique de Copenhague, de l’Opéra d’Anvers, de l’Orchestra de la Toscana, de l’Orchestre philharmonique de Slovaquie, de l’Orchestre National de Bordeaux… Partout, elle fait l’expérience de ce métier « exigeant, physique, charnel, qui engage le corps tout entier ». Un métier qui demande « autant de sang-froid que de passion, du charisme, beaucoup d’énergie, et un goût affirmé pour la transmission, la pédagogie et l’écoute de l’autre ». Un métier difficile, aussi, surtout lorsque l’on est une femme. Claire Gibault s’est heurtée, longtemps, à beaucoup de condescendance, de résistances, voire d’agressivité :
Ma présence et ma réussite, en tant que femme, n’allaient pas de soi aux yeux de certains collègues chefs d’orchestres, musiciens, managers ou organisateurs d’événements. Bien sûr, j’ai dans l’ensemble été estimée par mes pairs et mon public, mais ma carrière a tout de même été un combat et une conquête perpétuelle.
Lorsqu’en septembre 2018, elle est témoin d’un cas flagrant de discrimination lors d’un concours de direction d’orchestre, Claire Gibault confie son malaise à son amie Dominique Senequier, présidente d’Ardian, qui a su elle aussi s’imposer dans un milieu très masculin, et avec qui elle partage son combat pour l’équité. De cet échange naîtra l’idée d’un concours de direction d’orchestre réservé aux femmes. Ce sera La Maestra, dont la première édition aura lieu en septembre 2020, grâce aux financements trouvés en quatre mois par Dominique Senequier.
L’idée de La Maestra est de mettre en lumière les cheffes d’orchestre, de leur permettre de réussir et tout simplement d’exister au sein d’un milieu qui leur laisse traditionnellement peu de place.
Elle-même prend conscience, après des années de carrière et une renommée internationale, de l’existence d’un « plafond de verre » qui freine son évolution et ne lui permet pas, notamment, d’obtenir un poste de direction d’un orchestre symphonique permanent. « En Europe, pour qu’une femme puisse diriger une institution culturelle, elle n’a pas vraiment d’autre choix que de le créer elle-même », note la cheffe d’orchestre, qui décide de fonder le Paris Mozart Orchestra en 2011. Un projet tout à la fois musical, pédagogique, social et humanitaire, dont la Fondation Ardian est partenaire, et auquel Claire Gibault insuffle ses valeurs et son engagement : « Tout au long de ma carrière, j’ai rêvé d’un orchestre qui pouvait jouer aussi bien dans des salles de concerts prestigieuses que dans des prisons, des hôpitaux, ou des cantines scolaires. Un orchestre sans discriminations, d’aucune sorte, fondé sur la fraternité et le bonheur d’être ensemble. Un orchestre qui me permettrait de choisir mes programmes, d’imprimer mon style, tout en étant dans l’échange permanent avec mes musiciens, aussi impliqués que moi dans l’interprétation. Cet orchestre, je l’ai créé, et il est l’une de mes plus grandes fiertés ».
A la question de savoir combien de temps elle souhaite encore diriger, Claire Gibault répond avec malice que c’est une question qu’on ne pose étrangement jamais aux hommes… Et que, pour sa part, elle n’envisage pas encore de s’arrêter :
Tant que l’énergie, l’envie, la force et la passion me porteront, je continuerai à explorer le monde infini de la musique, et de partager, autant que possible, un peu de sa beauté.